CINÉTIQUE (ART)

CINÉTIQUE (ART)
CINÉTIQUE (ART)

Dans un petit nombre d’œuvres, le mouvement, en tant que dimension plastique suggérée, a cédé la place, vers 1920, à l’utilisation du mouvement réel et a donné ainsi naissance à un art nouveau, l’art cinétique. Cet art s’est répandu et s’est affirmé à partir de 1953-1954. On décèle, depuis 1961, différents courants dans l’art cinétique, et, parallèlement, de nouvelles perspectives révèlent une tendance à intégrer de manière inédite l’art cinétique à la vie sociale: «dynamisation» plastique de l’architecture, de l’urbanisme et participation active du spectateur. Une convergence s’étant établie entre les démarches scientifiques, technologiques et esthétiques, cet art s’accorde plus qu’un autre avec les aspirations générales de notre temps.

Au sens étroit, l’art cinétique comprend les œuvres tridimensionnelles (machines ou mobiles) et les œuvres luminocinétiques combinant la lumière et le mouvement à deux ou trois dimensions. Au sens large, il comprend également les œuvres en mouvement virtuel qui exercent une contrainte de mouvement «optique» ou tactile sur le spectateur et provoquent ainsi sa participation cinétique.

Les origines

L’origine des différentes catégories d’œuvres cinétiques est à rechercher dans la tradition artistique, mais aussi dans certains domaines para ou extra-artistiques. Dans toutes les œuvres cinétiques, l’opposition entre le traitement du mouvement «objectif» (ou impressionniste) et celui du mouvement «subjectif» (ou expressionniste) se fait sentir. Jouent également le mouvement comme thème, les effets graphiques, les effets de composition, de matériaux, de volumes, et l’interaction colorée. D’autre part, les machines et mobiles ont des affinités avec les machines hydrauliques antiques et baroques, les marionnettes, jaquemarts, automates, enfin avec les tableaux animés.

Les œuvres luminocinétiques se ressentent parfois de l’influence des orgues à couleur, des projections théâtrales et cinématographiques, tandis que les œuvres en mouvement virtuel trouvent leurs antécédents dans les pratiques contraignantes du trompe-l’œil, les anamorphoses (déformation des objets dans les miroirs) et les jeux et jouets de tous les temps.

Dans chaque courant de l’art cinétique, on distingue trois phases: expériences isolées, développement systématique individuel ou de groupe, prise de conscience publique.

Machines et mobiles

Étroitement liées à l’esthétique de la machine, les premières œuvres cinétiques tridimensionnelles appartiennent soit aux démarches dadaïstes (Marcel Duchamp, Man Ray), soit au constructivisme (Tatline, Gabo). C’est précisément Gabo qui employa le premier l’épithète «cinétique» à propos de l’art. Il répudia dans le Manifeste réaliste (1920) «l’erreur millénaire héritée de l’art égyptien qui voyait dans les rythmes statiques les seuls éléments de la création plastique». Il voulut les remplacer par les rythmes cinétiques, «formes essentielles de notre perception du temps réel». Le Bauhaus assimila la leçon, et le Licht-Raum-Modulator (1922-1930) de Moholy-Nagy fut non seulement une machine expérimentale en mouvement, mais un «modulateur» de lumière dont les ombres avaient la même importance que l’objet. Vers 1932, Calder créa des œuvres à moteur que Marcel Duchamp devait nommer des «mobiles». Ce terme sera par la suite utilisé pour toute œuvre suspendue ou fixée sur socle et mue par les forces aléatoires de la nature ou par l’intervention du spectateur.

Nous opposerons ici mobiles sans moteur et machines avec moteur. En ce qui concerne les machines, des recherches renouvelées ont eu lieu à partir de 1950 environ. Schöffer mettra l’accent successivement sur l’espace, la lumière et le temps pour aboutir à une expression complexe. Dans ses «spectacles», il réintègre les découvertes de l’électronique et de la cybernétique. Sa Tour spatiodynamique , comme son spectacle Formes et lumières (Liège) constituent la première grande réalisation cinétique (1961). Tinguely avec ses machines hétéroclites, Bury avec ses mouvements imperceptibles, Kramer avec ses «cages» à poulies minuscules introduisent dans l’art cinétique une dimension à la fois ironique, poétique ou angoissante. Les forces hydrauliques chez Kosice et magnétiques chez Takis révèlent de nouveaux rapports entre l’art et le dynamisme secret de la nature, tandis que les microstructures en mouvement de von Graevenitz vont vers le contrôle de la création par des méthodes statistiques. Cette préoccupation est souvent présente chez les membres du groupe Nouvelle Tendance. En Amérique, Len Lye exploite selon une programmation rigoureuse la flexibilité de l’acier dans les vibrations de ses Tangible Motion Sculptures .

Du côté des mobiles, la recherche systématique et solitaire de Calder fit, vers 1950, des adeptes en Angleterre (Chadwick, Kenneth Martin), en Italie (Munari) et aux États-Unis (Rickey).

Certaines manifestations ont suscité une reconnaissance de l’art cinétique tridimensionnel: en 1955, l’exposition Le Mouvement à la galerie Denise René, à Paris; en 1961, Bewogen Beweging (Mouvement émouvant) au Stedelijk Museum d’Amsterdam; en 1965, Licht und Bewegung (Lumière et Mouvement) à la Kunsthalle de Berne; en 1966, Directions in Kinetic Sculpture au musée de l’Université, à Berkeley, Californie.

Lumière et mouvement

Diverses expériences luminocinétiques trouvèrent une première occasion de proposer leur synthèse avec l’art Lumia, de Thomas Wilfred. Ses projections sur écran à l’aide du Clavilux (1921) furent suivies d’une longue recherche comprenant des concerts lumineux et des œuvres comme Lumia Suite. Des expériences similaires furent tentées par A. B. Klein, Baranoff-Rossiné et Alexander Laszlo; par Hirschfeld-Mack et Schwerdtfeger au Bauhaus, en 1922 (Reflektorische Farb-Lichtspiele ).

Le renouvellement du luminocinétisme a lieu vers 1955, grâce à des techniques inédites: F. J. Malina (Tableaux mobiles ), Palatnik (œuvres «cinéchromatiques»), T. Wilfred (systèmes divers); de son côté, N. Schöffer construit ses «télélumières», murs de lumière, prismes et circuits vidéo. Kosice, Raysse, Kowalski ainsi que de nombreux artistes américains créent des œuvres en utilisant des gaz rares, tels que néon, vapeur de mercure et argon.

Le public fut initié à l’art luminocinétique grâce à l’exposition Kunst-Licht-Kunst au Stedelijk Van Abbemuseum, à Eindhoven, en 1966, plusieurs expositions tenues aux États-Unis et surtout par Lumière et Mouvement au musée d’Art moderne de la ville de Paris, en 1967, où toutes les œuvres combinaient la lumière artificielle et le mouvement réel (sources lumineuses en mouvement ou œuvres en mouvement réfléchissant la lumière). On pouvait y constater l’existence d’un art luminocinétique de l’environnement créé à l’aide de la lumière directe (Morellet), rasante (Le Parc), noire (Demarco), chromatique (Schöffer, Boto, Vardanega), polarisée (Stein), sonore (Agam). Ailleurs dans le monde, les groupes italiens T et N, allemand Zéro et soviétique Dvi face="EU Caron" ゼjenije créèrent des environnements lumineux programmés.

Des théoriciens, organisateurs d’expositions, comme P. Hulten, F. Popper, G. Rickey, P. Selz et W. Sharp, ont joué un rôle important dans l’évolution de l’art cinétique en général.

Un peu en marge de cet art, le mouvement virtuel est issu de l’isolement de l’élément mouvement dans l’art abstrait et des sollicitations visuelles qui en résultent. L’op art et la tradition dans laquelle il s’inscrit sont le développement de cette réflexion. On retiendra les noms de Albers, Vasarely, Soto, Agam et le Groupe de recherche d’art visuel de Paris qui occupent par certaines de leurs œuvres une place particulière entre l’art cinétique au sens étroit du terme et l’art du mouvement virtuel. Toutefois, Vasarely a produit des œuvres cinétiques «profondes», et Soto pratique le mouvement vibratoire (effet moiré) dans des propositions utilisant la profondeur. De son côté, Agam sollicite le mouvement du spectateur devant ses œuvres «polyphoniques» et son intervention dans ses œuvres «transformables». Tous ces artistes ont joué un grand rôle dans le développement du cinétisme qui ne peut être compris qu’à partir de la confrontation de l’op art, des œuvres tridimensionnelles en mouvement et des œuvres luminocinétiques.

Tendance artistique typique d’un développement culturel général dans lequel entrent les découvertes de la science et les exploits de la technologie, l’art cinétique soulève des problèmes nouveaux. Il met en évidence la possibilité de travail artistique en groupe et de collaboration entre artistes, savants, ingénieurs, psychologues et théoriciens de l’art. Artistes individuels et groupes peuvent ainsi créer des «environnements» cinétiques, lieux d’interaction intense entre l’ambiance physique et psychologique, grâce aux mouvements du spectateur et aux programmations lumineuses. La coopération avec l’industrie ouvre la possibilité de reproduction des œuvres cinétiques (plastiques ou filmiques) en quantité limitée (multiples) ou illimitée. Ce qui a été d’abord conçu comme stimulation visuelle tend maintenant à entrer dans l’architecture et dans l’urbanisme et à provoquer chez le spectateur une attitude esthétique active.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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